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Nos commentaires sur le “Tableau des techniques illusoires signalées au CNOMK”

L’association FasciaFrance a en effet souhaité réagir aux informations données dans ce tableau au “Tableau des techniques illusoires signalées au CNOMK” publié récemment par le CNOMK en apportant des éléments qui aideront les professionnels et les usagers de la fasciathérapie à se faire une opinion éclairée de la fasciathérapie.
Plusieurs points méritent ainsi d’être discutés :
  • Le premier d’entre eux concerne la qualification de la fasciathérapie et d’autres approches d’illusoires qui à notre sens relève plus d’une opposition systématique aux thérapies complémentaires que d’une position scientifique. En effet, considérer que les thérapies complémentaires constituent une dérive thérapeutique au seul motif qu’elles se réfèrent à une conception de la santé, du soin et de l’être humain qui est différente de celle du modèle conventionnel de la kinésithérapie relève d’une  posture idéologique et politique qui n’a rien à voir avec la science. Cette position radicale n’est absolument pas partagée par l’ensemble de la communauté scientifique en France, en Europe et dans le monde. L’OMS a, entre autres, fait de l’évaluation et du développement des thérapies complémentaires un des axes stratégiques de sa politique. En France, des scientifiques, des médecins, des kinésithérapeutes, des associations et des sociétés savantes (ICEPS, GETCOP, CUMIC, OMCNC, NPIS) considèrent que les thérapies complémentaires ont leur place dans le parcours de soins des patients. Des études montrent d’ailleurs que leur association avec la thérapie conventionnelle est possible, souhaitable et potentiellement efficace contrairement à ce que prétend le CNOMK. Plusieurs appels ont été lancés ces dernières années pour alerter les gouvernants sur la nécessité de conduire une évaluation rigoureuse de ces thérapies afin de pouvoir les proposer en toute sécurité aux patients (Engagement de Berlin 2019, Appel de Montpellier 2019, Alliance Santé Intégrative 2022). Il est donc non seulement erroné mais également infondé de qualifier les thérapies complémentaires de procédures sans fondement scientifique. 
  • Les autres points qui méritent d’être discutés sont ceux utilisés pour justifier que la fasciathérapie serait illusoire. Les arguments consistant à affirmer que son corpus théorique n’a aucune validité scientifique sont contestables et nous pouvons aisément le démontrer :
    • Ce tableau ne reflète aucunement l’état des connaissances scientifique sur la fasciathérapie puisqu’il s’appuie sur des données datant de 2012. Or depuis 10 ans, le nombre de recherches, de publications et de communications sur la fasciathérapie n’a cessé de croître. Il suffit d’en consulter la liste sur les sites de l’association FasciaFrance(onglet “Recherche”) et du CERAP (1) pour se rendre compte que la fasciathérapie est régulièrement soumise à une évaluation par des comités scientifiques internationaux et à un examen par des pairs dont l’indépendance et la probité sont indiscutables. Contrairement à ce que voudrait laisser penser le CNOMK, la fasciathérapie est une approche qui intéresse le milieu scientifique et le domaine de la santé. Des protocoles de recherche sont régulièrement mis en place : le dernier en date est un essai clinique randomisé visant à évaluer l’impact de la fasciathérapie sur la lombalgie chronique. Cet essai a été validé par un CPP et est disponible sur la base de données clinical trials. La démarche du CNOMK visant à faire passer les praticiens en fasciathérapie pour des charlatans est pour le moins infondé et démontre le manque de rigueur intellectuelle dans la réalisation de ce tableau.
    • Concernant le fait que le CNOMK considère que la fasciathérapie « prétendrait agir sur les fascias” laissant penser qu’il serait illusoire de traiter ces tissus : en effet la fasciahtérapie est une thérapie qui comme bien d’autres (Myofascial Release, Manipulation Fasciale, Rolfing, Fascial Distorsion Model, etc…) agit sur le fascia dont le rôle dans le fonctionnement du corps humain, dans le mouvement, la biomécanique, la neurophysiologie et la biologie est aujourd’hui largement documenté. L’intérêt des physiothérapeutes du monde entier pour les fascias et leur rôle dans le système musculosquelettique est d’ailleurs réel [1–6]. D’autre part, la présentation qui est faite du fascia en fasciathérapie (classification et fonctions) est tout à fait conforme à la définition qu’en donne la Fascia Research Society et aux données actuelles de la science [7–11]
    • Concernant le fait que “La technique fait appel aux ressentis du praticien” : il semblerait que le ressenti du thérapeute n’ait  pas de valeur aux yeux du CNOMK et que le recours à la perception manuelle soit non conforme à la science. Or le développement de la sensibilité du praticien et le rôle du toucher dans la thérapie manuelle sont un réel sujet d’intérêt, de discussion et de recherche y compris en kinésithérapie. Des publications récentes attribuent en effet au toucher affectif et somato-perceptuel un effet thérapeutique propre [12–14]. Les travaux sur la fasciathérapie montrent l’importance de développer cette dimension humaine du toucher pour enrichir les dimensions relationnelles du kinésithérapeute et son efficacité clinique [15,16].
    • Concernant le fait que la fasciathérapie réalise un ’“accordage somato-psychique” : la prise en compte du lien corps/esprit et du recours à la perception du corps comme support thérapeutique fait l’objet d’un courant en physiothérapie scientifiquement étayé (Body and Self Awarness). Ce dernier considère le corps comme faisant partie intégrante de la vie psychique et suggère que des symptômes somatiques et psychiques trouvent leur origine dans une rupture de l’unité corps/esprit [17–20]. Ces approches qui développent la conscience corporelle et du mouvement rejoignent en cela les objectifs de la kinésithérapie tels que définis par la World Physiotherapy Association. Les méthodes scientifiques retenues et utilisées pour évaluer et valider ces méthodes sont les approches qualitatives. Des travaux utilisant ce type de méthodologie de recherche donnent un aperçu de l’impact de la fasciathérapie sur cette dimension corps/esprit [21–23].
    • Enfin, concernant le fait que la fasciathérapie considère “qu’il y a dans le corps une force d’auto-régulation naturelle”. C’est l’argument central de la communication du CNOMK pour qualifier la fasciathérapie d’”illusoire” car faisant partie des “Méthodes énergétiques sʼappuyant sur le « vitalisme », lequel consisterait à stimuler une énergie dite « vitale» qui produirait une auto-guérison”. Cette assertion évite tout débat et toute discussion épistémologique sur la question du corps. La kinésithérapie “scientifique” telle que la propose le CNOMK est une kinésithérapie matérialiste qui conçoit un corps régi par les seules lois physiques. La fasciathérapie ne rejette pas cette vision objective du corps mais prend également en compte sa dimension subjective. Elle ne se réfère donc pas au vitalisme comme cela est écrit mais s’inscrit dans dans une épistémologie proche de la phénoménologie, des sciences humaines et de la psychologie humaniste qui accordent à l’expérience subjective un statut scientifique et qui considèrent que le corps est un lieu de ressources et de potentialités inhérentes à la nature humaine.  Si la kinésithérapie fait aujourd’hui le choix de ne s’intéresser qu’aux lois physiques du corps, elle ne peut en revanche affirmer que la connaissance des lois du corps se limite à ce seul point de vue. Ce serait illusoire et sans doute très éloigné de la pratique courante des kinésithérapeutes qui touchent et mettent en mouvement des corps humains.
En 2014, E. Klein, physicien et philosophe des sciences, soulignait le manque d’épistémologie de la kinésithérapie et invitait les participants du Colloque Sciences et Kinésithérapie organisé par le CNOMK à réfléchir plus particulièrement sur la question du corps en citant Spinoza “ Le corps par les seules lois de sa nature peut beaucoup de choses dont son esprit reste étonné” (Livre 3 de l’Ethique).

Nul doute que les progrès scientifiques permettront d’apporter des réponses à l’ensemble de ces interrogations. Les nouvelles méthodes d’investigation telles que l’imagerie médicale sont prometteuses. Les images récentes permettant d’observer le corps vivant et les fascias sont une illustration d’un changement de paradigme. Elles permettent d’objectiver ce que les thérapeutes manuels ressentent sous leurs mains et renouvellent la conception de l’organisation architecturale du corps humain, de la biomécanique, des relations entre mécanique et biologie et du comportement de la matière vivante. 

La fasciathérapie s’inscrit dans le paradigme des thérapies complémentaires qui considèrent l’individu dans sa relation avec l’environnement, qui prennent en compte la subjectivité, l’intériorité et le ressenti du patient comme support de l’action de soin. Bien que cela entre en contradiction avec le paradigme auquel se réfère le CNOMK, il n’est pas démontré que ces modèles soient incompatibles et irréconciliables. Ce n’est sans doute pas le point de vue de nombreux cliniciens, chercheurs et patients. Le CNOMK est dans son droit de considérer que la fasciathérapie n’est pas conforme à sa conception de la kinésithérapie. En revanche, ce seul point de vue ne démontre en aucun cas que cette approche n’est pas fondée sur des données scientifiques probantes et ne signifie en aucun cas que les praticiens qui utilisent la fasciathérapie ne seraient pas moins consciencieux et soucieux de l’intérêt de leurs patients que des kinésithérapeutes conventionnels.

 

 


(1) : Le CERAP (Centre d’Etude et de Recherche Appliquée en Psychopédagogie perceptive) fait partie d’un centre de recherche en sciences cognitives et éducation spécialisée (I3ID) affilié à l’Université Fernando Pessoa. Il est spécialisé dans l’évaluation et l’intérêt de développer la perception (interne, externe) dans différents domaines de la santé, de l’éducation et des arts.


Références
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