Fasciathérapie : Recherche qualitative ou quantitative ?

FasciaFrance Recherche scientifique

Deux chercheurs parlent de leur point de vue sur la recherche en médecine complémentaire

Nous nous questionnons depuis longtemps sur les moyens de conduire une recherche sur la fasciathérapie et sur les méthodologies les plus adaptées pour procéder à son évaluation. Cette question n’est pas seulement la nôtre puisqu’elle se pose pour l’ensemble des thérapeutiques manuelles. Comme de nombreux professionnels et de plus en plus de chercheurs nous nous interrogeons sur la pertinence et la légitimité du seul recours à l’Évidence Based Medecine (ou Evidence Based Practice pour la physiothérapie) pour évaluer nos pratiques. L’injonction faite aux différentes techniques manuelles de kinésithérapie de démontrer leurs effets spécifiques, bien que légitime ne nous convient pas totalement. Nous pensons qu’une partie de l’intérêt clinique de nos pratiques ne sont pas prises en compte dans ce type d’approches.

En effet la fasciathérapie, mais aussi toute thérapie manuelle, ne peut pas s’apparenter à la délivrance d’un médicament et son étude ne peut donc pas se réaliser selon les mêmes critères (double ou triple aveugle, élimination du caractère scientifique de la subjectivité du patient ou de celle du thérapeute). La définition même de la fasciathérapie la place dans le champ des approches complémentaires en santé comme l’ostéopathie dont elle est issue et non dans le champ des pratiques dites conventionnelles. Elle revendique en effet son appartenance à un modèle global qui prend en compte la continuité tissulaire et fasciale, l’interaction réciproque entre le corps et le psychisme, la sensibilité intérieure du corps vivant et le rôle primordial de la dimension relationnelle du toucher dans l’approche thérapeutique. Autant d’éléments qui ne relèvent pas du paradigme biomédical strict centré sur l’organe malade et l’action physique sur un corps objet dépourvu de subjectivité et dont le ressenti n’a pas de valeur thérapeutique.

Nous avons ainsi fait un choix de recherche différent de celui qui est imposé par une kinésithérapie qui ne reconnaît que la seule Evidence Based Practice et les essais cliniques randomisés comme scientifiquement valides. Conduite par sa volonté farouche de devenir universitaire et l’impérative besoin de devenir une « vraie » profession à compétence médicale définie (ressembler à la mère médecine après laquelle elle court depuis toujours), la kinésithérapie en a oublié son identité pour se conformer sans réfléchir à cette vision de la science que représente l’Évidence Based Medecine. Sans réfléchir car l’EBM n’est pas du tout ce que certains kinésithérapeutes en ont fait. L’EBM est uniquement une méthode qui aide le praticien, en relation avec le patient mais aussi avec sa propre expérience et avec les données actuelles de la science à faire un choix thérapeutique éclairé dans le seul souci du patient. Or une déviation de l’EBM est flagrante dans la kinésithérapie française car les données issues de la science ont pris le pas sur les deux autres aspects (point de vue du patient et du praticien). On assiste progressivement à une tentative de conditionnement aveugle du kinésithérapeute qui sera bientôt dominé par la science (une certaine idée de la science plutôt) et dont l’expérience personnelle et professionnelle n’auront plus de valeur éthique. La seconde dérive consiste à dire que toute pratique et donc tout praticien qui ne plie pas à cette forme d’EBM relève du charlatanisme et est accusé de dérive thérapeutique. On utilise ainsi la science pour menacer, soumettre, uniformiser et standardiser l’exercice professionnel. Il n’y a plus aucune place à la créativité et à l’individualisation de la pratique.

Nous concernant, nous n’avons jamais souhaité être dominé par le joug d’une seule science et de plus nous considérons que la science n’est pas garante de l’éthique professionnelle. Il suffit pour cela de regarder les exemples de dérives issus de la recherche biomédicale.

Pour étudier la fasciathérapie, nous avons fait le choix éthique de garder une cohérence entre le sens de notre pratique et la mise en place de la recherche. Nous avons ainsi privilégié une série de recherches qualitatives pour prendre en compte le point de vue du patient (sa subjectivité) et pour étudier les effets non-spécifiques perçus de la fasciathérapie. Nous avons également opté pour la combinaison des approches qualitatives et quantitatives pour croiser les données et obtenir un point de vue plus proche de la réalité des effets induits par notre pratique. Des recherches quantitatives devront être menées pour vérifier sur un plus grand nombre de personnes les effets apparus dans ces enquêtes exploratoires.

Pour éclairer cette manière de faire de la recherche, nous vous relayons un article qui va dans le sens de cette démarche et qui nous incite à persévérer dans cette voie. Nous avons en effet lu avec beaucoup d’intérêt une interview de deux chercheurs de l’INSERM (unité INSERM U669), B. Falissard, pédopsychiatre, docteur en statistique et santé et auteur du rapport sur l’ostéopathie en 2012 et J. Gueguen, Médecin de santé publique, ingénieur méthodologiste qui prépare une thèse sur l’évaluation des médecines complémentaires. Leurs réflexions soulèvent les problèmes sociologiques actuels rencontrés par les praticiens qui souhaitent faire reconnaître leur pratique (en particulier dans le domaine des approches complémentaires) et ouvrent le débat scientifique sur les moyens et les méthodes les plus adaptées pour y parvenir.
Nous nous sommes permis de retenir quelques extraits de cet article et nous sommes autorisés à faire des commentaires .

Ne pas confondre la recherche des faits et la vérité

B. Falissard explique très bien que l’Evidence Based Medecine est issue de la recherche médicamenteuse et qu’elle n’est pas nécessairement adaptée et transposable comme tel dans l’évaluation des approches complémentaires. Il ajoute également que certains confondent validation scientifique et vérité scientifique. Les partisans de l’EBM ont tendance à croire qu’ils ont la vérité mais en réalité, il s’agit d’une d’une croyance au sens : « La « médecine fondée sur des faits prouvés ».(…) dit qu’une « proposition est prouvée lorsqu’elle est établie par une méthodologie reconnue et qu’elle entraîne une croyance ». Il existe ainsi une croyance généralement admise que grâce à l’EBM nous avons trouvé, enfin, la vérité et qu’il n’y a plus rien à ajouter. La messe est dite… On retrouve ce comportement dans la kinésithérapie puisque ce modèle est devenu la norme et la règle. L’Evidence Based Practice est même utilisé pour définir les pratiques vertueuses des pratiques non vertueuses, un moyen de séparer le bon grain de l’ivraie. À moins que ceux qui considèrent que l’EBM est un moyen de lutter contre les croyances et les pseudo-sciences voient la brindille dans l’oeil du voisin mais restent aveugles à la poutre qu’ils ont dans le leur. Voici ce que dit B. Falissard à ce propos : « Ce discours d’Evidence Based Medicine, j’y participe aussi et ça amène du progrès dans les soins, il n’y a aucun doute, mais quand on se dresse dans sa « cape blanche » en disant qu’on a trouvé la vérité, alors on dit n’importe quoi. »

Un problème d’ignorance ?

Un second point très intéressant abordé dans cet entretien concerne l’absence de connaissance et d’intérêt que peuvent apporter d’autres recherches pour évaluer les pratiques professionnelles et en particulier des méthodologies qualitatives. En effet, bien qu’elles existent dans le domaine de la santé et qu’elles fassent partie des possibilités d’évaluation, elles sont ignorées par les instances qui dirigent, décident et financent les recherches cliniques :  » On pourrait tout à fait faire des études qualitatives, de ressenti dans l’évaluation des médicaments. Mais le problème est culturel. Au jury du Programme hospitalier de recherche clinique (qui attribue beaucoup d’argent pour évaluer les soins, indépendamment des entreprises pharmaceutiques), on a soulevé l’hypothèse du qualitatif : et bien, la majorité du jury ignorait même qu’il existait des méthodologies qualitatives. » (Falissard). On retrouve le même phénomène dans la kinésithérapie. À titre d’exemple, le CNOMK ne cite pas la méthodologie qualitative comme pouvant être retenue pour canditater au prix de l’ordre 2015 récompensant les kinésithérapeutes qui contribuent à faire avancer la recherche en kinésithérapie : « Les travaux doivent utiliser la démarche scientifique et une ou plusieurs méthodes de recherche pour produire des résultats scientifiques. Les méthodes de recherche peuvent être : expérimentale, épidémiologique, métrologique, clinique, historique, différentielle, ethnologique, croisée. » Bien que les méthodes croisées soient citées, la méthodologie qualitative n’est pas explicitement référencée ce qui donne une idée de l’opinion des instances de la kinésithérapie sur le sujet. Le CNOMK considère d’ailleurs que les recherches qualitatives ne peuvent être retenues comme critère d’évaluation d’une pratique et à ce titre émet des avis contraires à la plupart des thérapeutiques manuelles qui ne possèdent pas suffisamment de preuves issues de l’EBM.

Distinguer différents effets thérapeutiques

Un autre élément intéressant soulevé par cet entretien se rapporte à la notion d’efficacité et d’effets thérapeutiques ainsi qu’aux moyens de les évaluer. Les deux chercheurs interrogés disent clairement que les essais cliniques randomisés ne peuvent rendre compte de certains effets thérapeutiques d’une approche : « Certaines thérapies permettent aux patients de s’accepter tels qu’ils sont, de faire en sorte qu’ils soient mieux intégrés dans leur environnement et cela change tout dans le regard. Le leur et celui de leurs proches. Mais ce type de traitement échappe complètement aux essais randomisés » « (Falissard). Cela ne veut pas dire qu’elles ne sont pas efficaces mais que leurs effets échappent aux méthodes quantitatives. On peut même penser qu’une méthode quantitative n’est pas adaptée à l’évaluation de ce type d’effet qualitatif. Il n’est pas surprenant que les études cliniques en kinésithérapie, en thérapie manuelle ou en ostéopathie parviennent difficilement à démontrer des effets thérapeutiques significatifs car une partie de ceux-ci est de nature qualitative et n’apparaît jamais sauf à utiliser les méthodologies adéquates.

Une piste pour évaluer les approches complémentaires en santé

Enfin, les chercheurs interrogés ne se contentent pas de dresser un état des lieux de la question mais proposent des pistes de travail pour faire évoluer la recherche dans le domaine des approches complémentaires. Ils proposent plus particulièrement le recours à des méthodes mixtes (quantitative et qualitative) qui indépendamment de faire apparaître des effets thérapeutiques non spécifiques, permettent de préparer des recherches quantitatives plus en rapport avec les effets spécifiques de ces approches : « Ainsi, pour évaluer les approches complémentaires, il semblerait pertinent de réaliser des études qualitatives en amont des essais contrôlés randomisés, afin de préciser le critère de jugement le plus adapté. » (Gueguen)

Cet entretien laisse plein d’espoir car il contribue à faire évoluer les mentalités et la réflexion scientifique dans un climat non partisan et ouvert.

La totalité de l’article est accessible en ligne ici

Christian Courraud
Pour FasciaFrance