Retour sur le FRC 2015
dimanche 18 octobre 2015.
Compte-rendu du 4ème Congrès International de Recherche sur le fascia
Basic Sciences and Implications for Conventionnal and Complementary Health Care Washington D.C. du 18 au 21 septembre 2015
Auteurs : C. Courraud, C. Dupuis, A. Lieutaud Photos : I. Bertrand
Pour cette 4ème édition, près de 1000 personnes s’étaient données rendez-vous dans la banlieue de Washington (Reston, Virginie) pour échanger et faire avancer les connaissances sur le fascia et les applications thérapeutiques.
Le public international venu de tous les continents a pu assister le matin à des conférences plénières d’une grande qualité, l’après midi étant consacré aux sessions parallèles, aux communications orales et à la présentation des posters. Nous avons été marqués par l’alliance de la rigueur scientifique et de la simplicité durant tout le congrès. Les interventions ont été entrecoupées par des séances pratiques de gymnastique fasciale !
Un show à l’américaine qui contraste avec nos habitues européennes mais qui facilite les échanges et les rencontres.
Voici un résumé de ce que nous avons retenu de ce congrès et qui nous semble être particulièrement intéressant pour notre pratique de l’ostéopathie ou de la fasciathérapie. Les interventions ayant été toutes données en anglais, nous nous sommes basés sur nos notes et notre traduction pour réaliser ce texte. De plus, il ne nous a pas été possible d’assister à toutes les communications orales et présentations de posters (plus de 150), étant nous-mêmes occupés à présenter nos travaux. Il est toutefois possible de prendre connaissance de l’ensemble des communications en se procurant l’ouvrage de synthèse intitulé Fascia Research IV édité par les Éditions Kiener (bientôt disponible) qui a publié les actes des trois premiers congrès (Fascia Research I, II et III).
- Recherche fondamentale et fascia
Plusieurs aspects du fascia ont été abordés. En premier lieu, nous avons pris connaissance de l’avancée des réflexions sur la définition du fascia (C. Stecco). La notion de « système fascial » a été proposée pour rendre compte des aspects anatomiques et fonctionnels du fascia (organe, fonction, système). Des travaux en embryologie (Schuenke) confirment l’origine mésodermique commune de tous les fascias du corps, même si des différences fonctionnelles et de composition existent. Dans l’embryogénèse, les fascias semblent être à l’origine de la création de la continuité du corps entier et dirigent l’organogénèse.
Des observations histologiques (C. Stecco) montrent des caractéristiques propres à différentes catégories de fascia, qui font notamment apparaître que seul le fascia superficiel (ou sous-cutané) contiendrait des récepteurs endocannabinoïdes. Ceci impliquerait que les techniques fasciales douces seraient plus susceptibles d’activer le système endorphinique que les thérapies travaillant sur les fascias profonds (Stecco). Il s’agit d’une hypothèse fondée sur quelques comparaisons histologiques qui reste à confirmer.
Un groupe en charge de réfléchir à une définition commune satisfaisante s’est constitué au sein de la société de recherche sur le fascia (Fascia Research Society). Celle-ci vient par ailleurs d’être contactée par le journal “Terminologica Anatomica” qui prépare sa mise à jour 2016, et souhaite savoir si une définition stabilisée du fascia est aujourd’hui disponible. Cette prise de contact formelle a été très appréciée, comme acte de reconnaissance, tant de la qualité des connaissances récentes produites sur le fascia, que de la structure même de la FRS.
Concernant les aspects fonctionnels du fascia, son rôle dans la nociception, la proprioception et l’intéroception a largement été abordé. Nous avons ainsi eu confirmation de l’existence d’une sensibilité fasciale à l’appui d’une étude expérimentale in-vivo (Mense) qui a mis en évidence l’existence de terminaisons nerveuses libres, porteuses d’une sensibilité nociceptive. A partir d’une inflammation induite expérimentalement dans le fascia thoraco-lombaire cet auteur a montré l’existence de remaniements neuronaux pouvant expliquer un envahissement de la douleur dans d’autres territoires metamériques (douleur diffusant dans le membre inférieur lors d’une inflammation du fascia thoraco-lombaire).
Une revue de la littérature sur les fascias musculaires (Schleip) indique que tous contiennent des fibres nerveuses sans myéline (conduction lente de l’information et forte réceptivité au toucher), que les fibres nerveuses myélinisées (conduction rapide de l’information) à proximité des vaisseaux sanguins sont surtout d’origine sympathique, et que les fascias musculaires contiennent, autour de ces fibres nerveuses, des récepteurs de Golgi, de Paccini, et parfois même de Ruffini, suggérant une participation du fascia dans la proprioception. Il semble même que les terminaisons libres, très nombreuses dans le fascia, puissent avoir un rôle proprioceptif.
Nous avons également pu en savoir un peu plus sur les caractéristiques de la douleur fasciale (Schilder) : lors d’injections expérimentales de solution saline dans la peau, le muscle et le fascia, il ressort que la douleur est plus intense et plus étendue pour le fascia. C’est également le seul tissu pour lequel la part affective de la douleur est la plus forte. Cette recherche a fait l’objet d’une publication dans le numéro 155 de la revue “Pain”.
La continuité fonctionnelle tissulaire a également été à l’honneur avec la projection des derniers films de J.C. Guimberteau et les réflexions de ce dernier sur cette observation in-vivo. Cette approche de la matière vivante est probablement la plus proche de ce que l’ostéopathe et le fasciathérapeute perçoivent sous leurs mains : un univers fibrillaire en mouvement permanent, ininterrompu, tridimensionnel, d’une grande variété et au comportement imprévisible et aléatoire. Un nouveau modèle de compréhension de la biomécanique fibrillaire et une évidente objectivation des ressentis et des vécus manuels.
- Fascia, muscles et tendon
Une partie des interventions a été consacrée au rôle du fascia dans le fonctionnement de la mécanique musculaire et dans les tendinopathies.
Sur le plan embryologique le fascia semble jouer un rôle dans l’organisation et la fragmentation de la masse musculaire et concourt à l’individualisation des muscles (Schuenke). Sans la présence des fascias, la masse musculaire est absente et/ou ne s’individualise pas, alors qu’en l’absence de myoblastes le fascia se développe harmonieusement. La présence de cellules souches dans le fascia semble avérée et lui donnerait des capacités de régénération (auto-renouvellement) à caractère multipotent : par exemple, l’épimysium pourrait se transformer en cartilage et le paraténon en os.
Le muscle a été présenté comme un organe connecté : l’épimisyum avec son environnement et les fibres musculaires avec la matrice extra cellulaire. Ces interactions affectent substantiellement la mécanique musculaire et ses capacités de force et de mouvement (Yucesoy).
Concernant la « raideur » du fascia, il a été confirmé que l’acide hyaluronique sécrété par des fibroblastes spécialisés (fasciacytes) joue un rôle important dans la viscoélasticité du fascia et par conséquent sur les possibilités de glissement et de mouvement des fascia dans tous les plans.
L’augmentation de cette viscosité pouvant par conséquence entraîner une raideur fasciale. Une équipe américaine (Rhagavan) a émis l’hypothèse que cette raideur fasciale pouvait être un des facteurs principaux de la spasticité. Des injections régulières d’acide hyaluronique semblent produire des effets prometteurs pour réduire les facteurs périphériques impliqués dans la spasticité. Un intérêt évident pour les thérapies manuelles et gestuelles en neurologie puisque l’immobilité change le métabolisme de l’acide hyaluronique.
L’implication des myofibroblastes (cellules musculaires lisses intrafasciales) dans la raideur et la tension de la matrice extra cellulaire a également été évoquée (Hintz). Les fibroblastes en devenant myofibroblastes sous l’effet de contraintes mécaniques ou du stress activent la production de TGF-β1 (rôle dans différentes pathologies humaines, comme la fibrose ou rôle antagoniste dans le développement tumoral). L’activation de la TGF-β1 dépend aussi de l’organisation du maillage de la matrice extra-cellulaire. Au plus le tissu est tendu, au plus les cellules (et notamment les fibroblastes) se dotent de capacité contractiles. Il semblerait que ceci soit régulé par des protéines porteuses de type LTBP-1.
Plusieurs présentations portant sur les effets d’un traitement fascial (comparé à une intervention classique adhoc) sur cette raideur ont attiré notre attention : évolution de la viscoélasticité du tendon d’Achille et des fascias plantaires qui se traduit par une plus grande flexibilité des tissus (Frenzel) ; amélioration à long terme du syndrome du canal carpien et restauration de la fonctionnalité de la main (Pratelli).
Concernant le rôle des fascias dans les tendinopathies, des chercheurs (Kjaer et A. Stecco) ont mis en évidence les décalages entre les symptômes et les résultats de l’imagerie d’une part et entre la modification des tissus et la douleur perçue d’autre part. Ainsi, 34% des tendons asymptomatiques montrent des changements histo-pathologiques. La douleur ne proviendrait probablement pas du tendon chez la majorité des patients.
Stecco A. a insisté sur la disproportion entre les études menées sur le tendon (6920) et celles sur le paratendon (37). Pourtant les tendons douloureux chroniques montrent une croissance interne des nerfs sensoriels et sympathiques du paratendon (ou paratenon) avec libération de substances nociceptives. D’autre part, la dénervation du paratendon du tendon d’Achille suffit à soulager la douleur de la majorité des patients. Des études récentes montrent que le début des lésions et de l’inflammation se fait au niveau du paratenon et non dans le tendon lui-même. L’observation macro et microscopique présentée par ce conférencier met en évidence que le paratendon est bien vacularisé et bien innervé par rapport au tendon, ce qui peut expliquer son rôle dans l’inflammation, les lésions et les douleurs tendineuses. D’autre part, les modifications de la viscoélasticité peuvent expliquer la réduction du glissement aponévrotique et par conséquent de l’amplitude des mouvements. Les images et les études histologiques montrent une continuité entre le fascia crural, le paratendon du tendon d’Achille et l’aponévrose plantaire. On retrouve également un épaississement du fascia crural et de l’aponévrose plantaire dans les tendinites d’Achille chroniques. Il est ainsi proposé que le traitement de la tendinopathie d’Achille soit global et prenne en compte le fascia crural, le tendon et son paratendon ainsi que l’aponévrose plantaire.
- Le fascia et les méthodes d’évaluation
Une partie de ce congrès a été consacrée à la formation à la recherche. Nous avons ainsi eu la chance d’assister à une intervention de T. Findley sur la meilleure manière de réaliser et de présenter un résumé au prochain FRC qui aura lieu en 2018. À partir d’exemples de résumés retenus pour cette édition et de son expérience personnel d’auteur, il a présenté de façon encourageante et décomplexée les lignes directrices pour la publication. De quoi motiver tous les praticiens et chercheurs présents !
La dernière journée a été consacrée à la présentation de méthodes d’objectivation des traitements du fascia. Nous avons particulièrement été intéressés par les possibilités qu’offrent les nouvelles technologies (échographie, élastographie) pour observer les effets des thérapeutiques manuelles ou gestuelles sur le fascia. Il devient possible d’observer très finement les effets spécifiques des différentes techniques. Une session de formation à ces nouveaux outils de recherche était d’ailleurs proposé lors de ce congrès.
- La représentation de la France
Nous avons été heureux de voir que la France était représentée lors de ce Congrès à travers les présentations orales et les posters d’ostéopathes et de fasciathérapeutes. Une équipe du CEESO de Lyon (repésentée par M. Locatelli et J. Gentil-Bécoz) a présenté une communication orale sur l’effet d’une technique endothoracique de myofascial release sur le système nerveux autonome auprès d’une population asymptomatique et un poster sur les effets immédiats de techniques d’énergie musculaire (MET) sur la performance musculaire des quadriceps lors des sauts verticaux. Une autre ostéopathe du CEESO, S. Delval, a présenté un poster issu de son mémoire d’ostéopathie. Ce poster présentait une hypothèse physiologique du mode d’action de la technique manuelle de Recoil. Son efficacité clinique pourrait être due à une oscillation mécanique transmise par le fascia. Une équipe de l’IHDEO de Nantes représentée par B. Quéran a présenté une étude montrant qu’une technique de pompage thoraco-abdominale appliquée à des souris présentant un ostéosarcome n’accélérais pas le développement de le tumeur primaire ni la création de métastases.
Notre équipe franco-belge a présenté 4 recherches portant sur la fasciathérapie effectués dans le laboratoire du CERAP. Le Dr B. Payrau a présenté une étude clinique montrant que la fasciathérapie a, sur l’anxiété, des effets identiques à l’hypnose et à la réflexologie, et supérieurs à la musicothérapie ou l’absence de traitement. A. Lieutaud a présenté les résultats préliminaires de la thèse de doctorat en Sciences Sociales de C. Courraud montrant les impacts de la fasciathérapie sur la pratique de la kinésithérapie. P. Rosier et C. Dupuis ont chacun présenté un poster portant respectivement sur les effets de la fasciathérapie sur la récupération somatique et psychique du sportif de haut niveau et sur l’évaluation des effets de la fasciathérapie sur les douleurs de la fibromyalgie.
- Fin de congrès pratique
La journée post-congrès a été consacrée aux ateliers pratiques sous la forme d’une série de workshops proposant aux participants de mettre en pratique ou de prolonger les connaissances acquises pendant le congrès et de découvrir des approches nouvelles manuelles, gestuelles ou instrumentales. Notre workshop présentant les concepts théoriques et pratiques de la fasciathérapie MDB ainsi que les recherches a réuni plusieurs nationalités de praticiens (américains, allemands, néo-zélandaies, canadiens, français) et a été particulièrement apprécié.
Ce compte rendu a été relayé dans d’autres médias professionnels : :
– Site de l’ostéopathie
– Revue Mains Libres (article en pièce jointe)
– CERAP
Rendez-vous en 2018 pour le prochain FRC !
Pour r[etrouver des informations sur cet événement :
Site du FRC 2015
Site de la Fascia Research Society
Blog des auteurs de ce compte-rendu